Article paru dans le magazine Alpine mag le 24 novembre 2022Cet article étant réservé aux abonnés du magazine Alpinemag, je l’ai repris sur mon site
CORSE : LE GR20 EN SANDALES
LAURENT PONCET·24 NOVEMBRE 2022
Le GR20 chaussé de sandales n’a rien d’un pari décidé sur un coup de tête. Inspiré par Chris McDougall et son livre Born to Run, et ses Indiens Tarahumaras qui courent en sandales sans fatigue, Laurent Poncet décide de découper sa paire de chaussures de trail pour fabriquer ses premières sandales. Quelques années plus tard, le voici arrivé au terme d’un GR20 minimaliste et plutôt rapide : en huit jours avec des sandales faites main.Encore un petit kilomètre par la route jusqu’à
CONCA, et mon regard se porte sur cette plaque, adossée au mur de l’auberge, devenu le symbole de la fin du
GR20. Huit jours d’une randonnée fantastique, 200 km et 13000 mètres de D+.
A la recherche du cavalier blancSept ans plus tôt le milieu médical me conseillait de mettre fin à la course à pied et aux longues randonnées. En effet, suite à des blessures anciennes très mal soignées et a une discopathie, la course et la randonnée devenaient un vrai calvaire. Je me suis souvenu alors, du livre de Chris McDougall « Born to run » sur l’histoire des Tarahumaras et de leurs sandales.
Ce livre est le récit d’un homme à la recherche d’une tribu d’Indiens du Mexique, infatigables coureurs de fond. Il rencontrera un personnage dit le Cavalier blanc qui a fait de la course à pied son mode de vie. Les blessures, les maux de toutes sortes ont disparus !! Comment a-t-il fait ? Il court pieds nus !J’ai encore en mémoire, cette paire de chaussure de trail quasi neuve dont j’ai découpé la semelle pour me faire mes premières sandales.
Le retour aux sources !Après quelques mois d’initiation, pour intégrer une nouvelle foulée et pour me construire musculairement, je reprends progressivement mes activités de course à pied et de randonnée. Courir et marcher en sandales, c’est une forme de retour aux sources, où le pied se sent libre et léger. Au fil du temps, les cailloux, les rochers, deviennent de moins en moins agressifs et on se fait une joie de les apprivoiser même si parfois ils mordent encore un peu ! Le plaisir retrouvé avec ces nouvelles sensations, j’ai complètement adopté les sandales pour mes activités Outdoor mais également très souvent dans mon quotidien !
Je voulais aussi retrouver le coté minimaliste dans la conception et le tarif de mes sandales. J’ai donc décidé de fabriquer mes propres sandales avec une semelle Vibram découpée aux formes du pied et un simple cordon.
En 2017, lors d’une randonnée en Corse, je démarre sandales aux pieds et je me rends compte de la difficulté du terrain mais en même temps de l’immense plaisir que je ressens. Empruntant une partie du GR20, je croise des GRistes interloqués qui me demandent si je fais le G20 en sandales. Evidemment que non, et cela me parait, à ce moment-là, impossible.
EN FAISANT UNE PARTIE DU GR20 EN 2017, JE CROISE DES RADONNEURS INTERLOQUÉS QUI ME DEMANDENT SI JE FAIS LE G20 EN SANDALES. EVIDEMMENT QUE NON, ET CELA ME PARAIT, À CE MOMENT-LÀ, IMPOSSIBLE.Je cours ou randonne tous les matins. Ces petites sorties quotidiennes deviennent de plus en plus faciles et je me sens très à l’aise avec mes sandales ! Forcement l’idée a germé de faire le GR20.
J’ai dû orienter mon entraînement sur ma capacité à maintenir mes appuis, sandales aux pieds, malgré le poids d’un sac à dos. En quelques mois c’était acquis. J’aime randonner léger et plutôt rapidement, ainsi, j’ai préparé l’itinéraire pour une randonnée de huit jours au lieu des seize annoncées. Huit jours est un bon compromis pour s’immerger dans l’environnement, dans l’ambiance et pour donner un rythme plus sportif à la randonnée sans que cela ne se transforme en trail.
Il est 4h30, j’ajuste le laçage de mes sandales, c’est parti ! Je traverse de nuit le village de Calenzana et j’arrive dans une belle petite ruelle avec des maisons en pierre qui marque le départ du GR20. Je démarre sur une longue montée pour atteindre un premier col. Le rythme est bon, les jambes sont légères et les sandales commencent à dompter le terrain. Je rencontre et rattrape quelques randonneurs, et déjà les questions sur mes pieds fusent.
Le premier refuge, d’
Ortu di u Piobbu, est déjà derrière moi. Je passe le promontoire d’Arghjova qui signe le début d’un véritable engagement physique sur un sentier devenu plus accidenté qui nécessite l’usage des mains. La pose de pied est sûre, précise, les sandales accrochent parfaitement sur le granite et je reste concentré. Enfin, dernière grosse descente difficile et longue avant le refuge Carrozzu.
Bilan de la journée : 7 h30 / 21 km / 2367 D+Il est 4h30, une grosse journée se présente. Après une longue montée assez technique sur de grandes plaques en devers, j’arrive au col de Bocca di Stagnu, point culminant de l’étape (2010 m). Une fois le col franchi et après une longue descente assez pentue, je traverse une forêt de pins Laricio avant d’atteindre la station d’Ascu.
Je traverse la station et très vite j’aperçois, grandiose, imposante, inquiétante, cette barrière montagneuse du Monte Cinto que je dois franchir ! Il me revient souvent en tête les réflexions que j’ai eu avant de partir « J’aimerai le voir avec ces sandales dans la pointe des éboulis », « le GR20 en sandales, c’est inconscient et impossible. »
Il faudra prendre son temps et faire quelques petites pauses pour arriver à la pointe des éboulis culminant à 2.607m et jouxtant le plus haut sommet de Corse. Je descends par les crêtes où certains passages sont bien aériens. Je suis content de passer avec une bonne météo. La descente jusqu’au refuge de Tighiettu est assez longue et exigeante. J’arrive généralement assez tôt aux refuges, les rencontres sont riches et les échanges bienveillants.
C’est rassurant car randonner en sandales suscite des débats et des échanges parfois virulents et particulièrement sur les réseaux sociaux. Pourquoi des réactions aussi véhémentes ? Un gros travail des marques qui ont réussi à imposer le standard de la chaussure montante comme unique élément de sécurité ? La confusion avec des personnes non équipées et s’aventurant dangereusement ?
Bilan de la journée : 8h15 / 16 km / 2215 D+J’avais organisé ma traversée en prévoyant un troisième jour plus paisible après les deux premières journées difficiles. Je m’habitue à croiser les randonneurs qui me disent « bonjour » en regardant mes pieds. Je deviens le « gars en tongs ». Je poursuis le cheminement sans trop de difficultés et je relâche mon attention. Quelques rochers et cailloux cachés me rappellent très vite à l’ordre.
Bilan de la journée : 4 h00 / 16 km / 900 D+Au matin le GR se poursuit par un long chemin dans la forêt pour remonter jusqu’à Bocca San Petru. J’arrive très vite au
lac de Nino, un moment magique, le jour à peine levé, les chevaux sont aux bords du lac, et la montagne est à moi. Petite pause dans l’herbe tendre de la prairie et je profite pleinement de l’absence de cailloux pour reposer mes pieds et mes sandales !
Je poursuis le cheminement toujours en suivant ces balises rouges et blanches jusqu’au refuge de Manganu où débute une magnifique étape très technique et minérale. En effet, c’est le retour des cailloux, je dois affronter une montée très difficile et technique jusqu’à Bocca alle Porte. Ensuite, le passage de la fameuse Brèche de Capitellu, offre une vue extraordinaire sur les lacs de Melu et Capitellu.
Je passe un couloir en courant me permettant de sauter de bloc en bloc. Je double un couple dans la difficulté, qui m’avouera le soir au refuge de Petra Piana qu’ils ont bien failli abandonner lorsqu’ils ont vu un « gars en tongs » courir dans les rochers !
Bilan de la journée : 6h15 / 28 km / 1600 D+ CERTAINS ONT FAILLI ABANDONNER EN VOYANT UN GARS EN TONGS DANS LES ROCHERSC’est une étape plutôt tranquille et je débouche sur le refuge l’Onda. Je démarre du refuge par une montée assez raide jusqu’à un col où une famille souhaite me prendre en photo, ou plutôt mes pieds !!
Je poursuis par une descente qui met à rude épreuve les articulations des chevilles et des genoux et j’avoue que l’usage des bâtons m’aident à assurer une pose de pied plus précise dans ces pierriers. Je longe une rivière, traverse une forêt, et là je commence à croiser beaucoup de monde en tongs !! Une concentration minimaliste ? Non, ils viennent passer la journée et se baigner à la cascade des Anglais. Je me fonds dans la masse mais j’ai hâte de terminer l’étape et d’arriver à
Vizzavone, car j’étais bien habitué au silence de la montagne.
Bilan de la journée : 7h30 / 23 km / 1200 D+La partie sud du GR démarre !Je démarre de nuit comme chaque matin, d’abord par une bonne piste puis un sentier en forêt. Je passe le refuge de Capanelle et poursuit jusqu’au col de Verde. De là, une piste démarre et commence ensuite une montée assez raide.
La fatigue ? le manque d’attention ? je m’arrache un bout d’orteil au passage d’un bloc de granite. Sur 200 km, je pensais bien laisser quelques petits morceaux de peau. Arrivée au
refuge de Prati, je soigne mes pieds. Ces petits bobos sont certainement moins handicapants que les ampoules couvrant les pieds de certains randonneurs !
Bilan de la journée : 7 h30 / 33 km / 2000 D+Une longue journée se prépare car cette fois j’ai prévu de tripler les étapes. Réveillé à 3 h du matin, ne dormant plus, la journée va être longue, des orages sont prévus en début d’après-midi, je décide de me lever et de partir.
Le chemin est très agréable jusqu’au au
refuge d’Usciolu mais pas aussi simple que je ne l’imaginais car il serpente le long de crêtes, la progression n’est pas rapide et parfois délicate. L’étape suivante débouche dans une vallée où tout est vert, les cailloux sont remplacés par des champs de fougères. Je longe des prairies, je ne résiste pas, je m’arrête un moment sur l’herbe tendre et au bord d’une rivière. Je me baigne, je rechausse mes sandales et repars. Les pieds sont encore humides, les gravillons s’agglutinent et une ampoule commence à se former sous les métatarses. (Sans grosse conséquence pour la suite)
Passé le refuge de Maltaza, je redémarre par une bonne piste qui monte tranquillement jusqu’à la bergerie de Crocci. Très vite la piste se transforme en sentier et le temps commence à s’assombrir. J’aperçois des éclairs impressionnants sur le Monte Incudine, je cours sur les parties roulantes, j’aperçois en contre bas le refuge d’Assinau. Je dévale la pente car je voudrais éviter le passage des dalles en devers sous une pluie battante. J’arrive enfin au refuge et l’orage éclate vraiment très violemment.
Bilan de la journée : 11h00 / 34 km / 2000 D+Dernier jour, avec 2500 mètres de D-, mes genoux vont souffrir. La fatigue se fait sentir, je passe
le col de Bavella. Je le connais bien mais il y a beaucoup trop de monde pour s’y arrêter. Encore un col à passer,je redescends sur le
refuge de Paliri. Je bois un Coca, je plaisante encore une fois avec quelques randonneurs sur mes sandales et mes orteils égratignés. L’orage gronde de nouveau. Je termine sous une petite pluie. Un dernier km sur la route jusqu’à Conca, content, fier mais nostalgique de cette fin d’aventure.
Bilan de cette dernière journée 30 km / 8 h00 / 30 km / 1150 D+